La prise de conscience de l’ampleur du scandale
C’est en cherchant à se faire soigner une rage de dents qu’Abdel Aouachéria a doucement pris conscience de l’ampleur du scandale Dentexia. Les dentistes libéraux auxquels il s’était adressé le renvoyaient vers ceux qui avaient réalisé les soins : Dentexia. Or, ces derniers étaient en train de fermer et donc, ne pouvaient pas non plus le prendre en charge.
C’est dans ce contexte qu’il se rend un matin dans un de ces centres :
« C’est comme ça que, le 6 janvier, j’arrive à l’ouverture […]. Le centre n’ouvrait plus trop, mais il y avait quand même des patients qui étaient devant. C’est là que je croise ce couple qui avait des fils noirs qui leur serraient les gencives parce que […] les 2 personnes du couple n’avaient plus de dents dans la bouche. On leur avait tout enlevé. Elles sortaient démunies, pour aller je ne sais où. D’ailleurs, je leur pose la question […] : « Vous allez où comme ça ? ». Et les 2 personnes me répondent : « Et bien on ne sait pas. ». […] Je rentre dans le centre et là, je prends conscience de l’ampleur du problème parce qu’il y a 2 personnes qui veulent voler des ordinateurs. [Ce sont] 2 victimes qui sont hyper agressives, en disant : « J’ai payé par avance, on entend que le centre est en redressement, je ne vais pas pouvoir être soigné, je veux récupérer mon argent. ». »
Abdel Aouachéria
Il distribue alors ses cartes de visite :
« 2 jours après, j’ai reçu 80 coups de fils. »
Abdel Aouachéria
Ce n’était pourtant encore que le début. Abdel explique lors de notre échange qu’il a arrêté de compter le nombre d’adhérents au Collectif contre Dentexia à partir de 3 000 personnes…
La création du Collectif contre Dentexia
C’est au fil des rencontres qu’il fera par la suite que le Collectif contre Dentexia verra le jour. Il fut créé tôt dans l’histoire du scandale Dentexia puisqu’il date du 6 janvier 2016. Il précède donc la liquidation judiciaire qui eut lieu en mars de la même année.
Au fil des semaines, puis des mois et des années, Abdel et tous les autres membres comprennent combien l’affaire est complexe, entre autres parce qu’elle est totalement nouvelle.
« C’est une situation complètement inédite pour laquelle il n’y avait pas de solution qui pouvait être sortie du chapeau. »
Abdel Aouachéria
Dans le cadre du Collectif contre Dentexia, Abdel recevra de très nombreux témoignages et comprendra à quel point de mauvais soins dentaires peuvent affecter la vie d’une personne. Dans cet épisode, il raconte avec beaucoup de justesse :
- toute la douleur, physique et mentale ;
- toute l’humiliation que ce fut pour les victimes ;
- toutes les conséquences, physiques et mentales, elles aussi, qu’elles ont dû affronter.
« Au tout début, c’est frontal, c’est comme […] un choc aigu […]. On l’encaisse, en fait. C’est de la sidération, au début. Le problème des personnes qui commencent à vivre dans le noir, qui menacent de se suicider… ça, c’est quelque chose qui se déploie. Parce qu’il faut [le temps de] prendre conscience qu’il n’y a pas de solution. »
Abdel Aouachéria
Les difficultés rencontrées par le Collectif contre Dentexia
Au fil de notre échange, Abdel a très bien expliqué à quel point les démarches entreprises par le Collectif contre Dentexia furent compliquées. Son récit nous fait comprendre sans peine que c’est bien l’énergie du désespoir qui leur a permis de continuer à lutter pour obtenir de l’aide.
- Ils ont contacté des associations de consommateurs qui leur ont répondu que c’était un problème sanitaire.
- Les associations de malade (qui n’existaient alors pas pour le secteur dentaire…) leur ont répondu qu’au vu de leur discours sur les sommes payées et les difficultés avec les assurances, c’était un problème de consommation.
- Ils ont, nous l’avons évoqué dans le premier épisode sur la naissance du scandale, pas reçu de soutien de l’Ordre des chirurgiens-dentistes.
- Ils ont contacté la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), sans que cela soit utile.
« Désespéré, j’appelle le standard du ministère de la Santé, à Paris. Je trouve sur Google ! […] Parce que je reçois des mails qui me font peur, en fait. Je reçois des menaces de suicides, des personnes qui, au bout de quelques semaines, me disent : « Mais on ne peut pas vivre sans dents, en fait. On n’a plus de dents, on n’a plus d’argent. ». »
Abdel Aouachéria
La standardiste lui parle alors du métier de défenseur des droits et lui donne un numéro. C’est cette personne qui, enfin, comprend l’ampleur du scandale et prend le dossier en charge au côté du Collectif contre Dentexia.
« On se retrouve avec des dentistes extrêmement réticents à l’idée de soigner des victimes. On se retrouve avec un cabinet ministériel qui ne comprend pas ce qu’on lui dit, ou qui comprend trop bien, en disant : « Nous, on ne veut pas endosser la responsabilité des mandats précédents, en fait. Ce n’est pas notre problème. Il faut que vous vous retourniez vers d’autres acteurs. ». Mais il n’y a pas d’acteurs. Et c’est ce qu’a bien compris le cabinet du défenseur des droits […]. Là s’engage une lutte dans la durée. »
Abdel Aouachéria
Parallèlement, les médias ont été très présents aux côtés du Collectif contre Dentexia. Le collectif et Abdel, au fil des expériences, apprennent d’ailleurs comment s’adresser à chacun des acteurs contactés, apprenant à se montrer et utilisant tantôt des témoignages et des images, tantôt de très longs sondages et des chiffres.
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Ce second épisode de l’interview d’Abdel Aouachéria pour « Entretien avec un dentiste » explique en détail l’immensité et la complexité du travail réalisé par le Collectif contre Dentexia. Je vous invite vivement à l’écouter en entier pour mesurer l’étendue des démarches réalisées, la souffrance et le désarroi traversés par les victimes. Pour clore notre échange, Abdel évoque également le procès pénal qui n’a pas (encore) eu lieu malgré 1 553 plaintes déposées au TGI (tribunal de grande instance) de Paris. Enfin, pour ne pas louper la suite de l’histoire, je vous invite à vous abonner et à vous inscrire à la newsletter.