Collectif contre Dentexia | La naissance du scandale, avec Abdel Aouacheria | Épisode 1/4

Abdel Aouacheria a été une des victimes du scandale Dentexia, ce centre dentaire low-cost crée en 2012 par Pascal Steichen, qui a fait l'objet d'un gigantesque scandale sanitaire. En 2016, suite à la liquidation de ces centres, des milliers de patients se retrouvent avec des plans de traitement inachevés, voire pas encore commencés. La promesse de ces centres était de proposer aux plus démunis des soins moins chers qu'en libéral, mais les plans de traitement étaient pensés dans un objectif uniquement mercantile. Le ticket d'entrée chez Dentexia étant l'avance intégrale des frais des soins, ces victimes se sont retrouvées à la fois édentées et endettées.

Abdel Aouacheria est doc­teur en biolo­gie, chargé de recherche au CNRS et fon­da­teur du Col­lec­tif con­tre Den­tex­ia puis co-fon­da­teur de l’as­so­ci­a­tion La dent bleue. Dans cet épisode d’Entre­tien avec un den­tiste, il est avec moi pour expli­quer la nais­sance du scan­dale Den­tex­ia. Quel était le con­texte lég­is­latif ? Com­ment ces cen­tres étaient-ils gérés ? Com­ment les patient·e·s vic­times ont-ils été pris en charge ?

À l’origine de ces centres dentaires low-cost : la loi Bachelot

La loi Bachelot du 21 juillet 2009

Pour com­pren­dre la créa­tion des cen­tres den­taires low-cost Den­tex­ia, il faut évo­quer la loi Bach­e­lot du 21 juil­let 2009. Elle avait pour but de créer un dis­posi­tif favorisant l’accès, pour tous, à des soins de qual­ité. Il s’agissait de dimin­uer le mono­pole des prati­ciens en libérale et de favoris­er des soins moins chers et mieux répar­tis sur le territoire.

« Il y avait une volon­té, avec la loi Bach­e­lot, de sim­pli­fi­er, en fait, les con­di­tions de créa­tion de cen­tres de san­té den­taire, par le biais d’un pas­sage à un régime déclaratif pour l’au­tori­sa­tion d’ou­vrir un cen­tre. […] On n’é­tait plus obligé, en tant que créa­teur de cen­tre, de se soumet­tre à un agré­ment préal­able de l’Agence régionale de san­té, l’ARS. Par ailleurs, on avait la créa­tion, et c’é­tait ça la vraie nou­veauté, de la pos­si­bil­ité de mon­ter des struc­tures asso­cia­tives loi 1901, c’est-à-dire à but non-lucratif. »

Abdel Aouacheria

Hélas, ce n’est pas ce qu’il s’est passé…

L’inféodation à l’Ordre des chirurgiens-dentistes

Il faut égale­ment savoir qu’au départ, les cen­tres de san­té con­cernés par cette loi n’étaient pas sous l’autorité de l’Ordre des chirurgiens-den­tistes. Cela a eu plusieurs con­séquences dans le scan­dale Den­tex­ia, notam­ment autour des assur­ances. Les chirurgiens-den­tistes de Den­tex­ia n’avaient pas tous une respon­s­abil­ité civile pro­fes­sion­nelle… et le con­trat souscrit par le cen­tre ne cou­vrait, en fait, pas les patients.

« Pas­cal Ste­ichen et son équipe avaient souscrit un con­trat de non-assur­ance […] qui fai­sait qu’absolument tout ce qui con­cer­nait le den­taire n’é­tait, en réal­ité, pas assuré. »

Abdel Aouacheria

L’organisation lucrative des centres du scandale Dentexia

Une gestion pensée pour générer du profit

Le pre­mier des cen­tres Den­tex­ia a été ouvert à Lyon, en 2012. Au total, 8 cen­tres de cette fran­chise ver­ront le jour. Pas­cal Ste­ichen a mis en place tout un sys­tème afin de faire de l’argent à par­tir de ces cen­tres de san­té asso­ci­a­tions loi 1901, que ce soit au tra­vers de :

  • un mon­tage entre l’association à but non-lucratif et des entre­pris­es qu’il déte­nait également ;
  • l’organisation et la ges­tion de ces cen­tres de san­té low-cost eux-mêmes.

« À savoir que Pas­cal Ste­ichen n’est pas den­tiste. Il a fait des études d’HEC. Il avait déjà, dès 2001, une bonne con­nais­sance du monde den­taire puisqu’il a enseigné aux den­tistes des tech­niques pour appren­dre à aug­menter leur chiffre d’affaires. » 

Flo­rence Etcheverry

À leur arrivée, les patients étaient pris en charge par des assis­tances com­mer­ciales, qui étab­lis­saient un devis (exagéré, com­prenant des soins inutiles) après avoir réal­isé une radio. La devise de Pas­cal Ste­ichen était que « la meilleure dent, c’est l’implant ».

« On va essay­er d’ori­en­ter les plans de traite­ment vers les solu­tions, entre guillemets, qui soient les plus lucra­tives pour les cen­tres, qui per­me­t­tent de dégager plus de marge. »

Abdel Aouacheria

Des soins réglés avant d’être prodigués.

De plus, les patients devaient pay­er les soins AVANT qu’ils ne soient réal­isés. Leur faible coût était util­isé comme argu­ment pour jus­ti­fi­er cette avance. Et s’ils n’avaient pas les moyens, ils se voy­aient pro­pos­er, par le biais de ces mêmes assis­tantes, des crédits bancaires.

« Il y avait tout un sys­tème de pilotage par tableau de bord. Nous, on a eu des témoignages […] avec un sys­tème de brief­ing sur une base quo­ti­di­enne, où les den­tistes pou­vaient être humil­iés en fin de journée s’ils n’avaient pas atteint les objec­tifs de rentabil­ité. On leur dis­ait : « Mais pourquoi tu n’as pas posé la prothèse ? […] ». »

Abdel Aouacheria

Les nombreux patients victimes de Dentexia

En l’espace de quelques années, la mau­vaise ges­tion finan­cière des cen­tres — qui n’était autre qu’une pyra­mide de Ponzi — par Pas­cal Ste­ichen con­duit les cen­tres à faire fail­lite. Le scan­dale Den­tex­ia était là.

Pour les raisons citées plus haut, la ques­tion de la prise en charge des vic­times par les assur­ances fut com­pliquée. En plus de cela, les per­son­nes mal­traitées dans le scan­dale Den­tex­ia ont eu beau­coup de mal à être pris­es en charge par des den­tistes. L’Or­dre des chirurgiens-den­tistes n’é­tait, en effet, pas très enclin à aider ces patients-là.

« Je pense qu’en fait, il y avait une propen­sion à se servir de la patien­tèle pour taper sur les cen­tres de san­té et, indi­recte­ment, sur la loi qui avait été pro­mul­guée par le min­istère de la San­té. […] Ce qu’il s’est passé […], c’est le fait qu’il y a eu des recom­man­da­tions faites par le con­seil de l’Or­dre, de ne pas soign­er les vic­times de Dentexia. »

Abdel Aouacheria

« Ceci étant, je tiens quand même à le dire et c’est très impor­tant : il y a quand même eu un énorme effort de fait, par de nom­breux den­tistes, pour repren­dre ces victimes. »

Abdel Aouacheria

*

J’espère que cet arti­cle vous aura per­mis de com­pren­dre un peu mieux les dessous du scan­dale Den­tex­ia. Pour décou­vrir ce sujet plus en détail, au tra­vers des nom­breux points évo­qués avec Abdel Aouacheria, je vous con­seille d’écouter ce pre­mier épisode en entier. Enfin, pour ne pas man­quer la suite de l’histoire, je vous invite à vous abon­ner et à vous inscrire à la newslet­ter.

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