Abdel Aouacheria est docteur en biologie, chargé de recherche au CNRS et fondateur du Collectif contre Dentexia puis co-fondateur de l’association La dent bleue. Dans cet épisode d’Entretien avec un dentiste, il est avec moi pour expliquer la naissance du scandale Dentexia. Quel était le contexte législatif ? Comment ces centres étaient-ils gérés ? Comment les patient·e·s victimes ont-ils été pris en charge ?
À l’origine de ces centres dentaires low-cost : la loi Bachelot
La loi Bachelot du 21 juillet 2009
Pour comprendre la création des centres dentaires low-cost Dentexia, il faut évoquer la loi Bachelot du 21 juillet 2009. Elle avait pour but de créer un dispositif favorisant l’accès, pour tous, à des soins de qualité. Il s’agissait de diminuer le monopole des praticiens en libérale et de favoriser des soins moins chers et mieux répartis sur le territoire.
« Il y avait une volonté, avec la loi Bachelot, de simplifier, en fait, les conditions de création de centres de santé dentaire, par le biais d’un passage à un régime déclaratif pour l’autorisation d’ouvrir un centre. […] On n’était plus obligé, en tant que créateur de centre, de se soumettre à un agrément préalable de l’Agence régionale de santé, l’ARS. Par ailleurs, on avait la création, et c’était ça la vraie nouveauté, de la possibilité de monter des structures associatives loi 1901, c’est-à-dire à but non-lucratif. »
Abdel Aouacheria
Hélas, ce n’est pas ce qu’il s’est passé…
L’inféodation à l’Ordre des chirurgiens-dentistes
Il faut également savoir qu’au départ, les centres de santé concernés par cette loi n’étaient pas sous l’autorité de l’Ordre des chirurgiens-dentistes. Cela a eu plusieurs conséquences dans le scandale Dentexia, notamment autour des assurances. Les chirurgiens-dentistes de Dentexia n’avaient pas tous une responsabilité civile professionnelle… et le contrat souscrit par le centre ne couvrait, en fait, pas les patients.
« Pascal Steichen et son équipe avaient souscrit un contrat de non-assurance […] qui faisait qu’absolument tout ce qui concernait le dentaire n’était, en réalité, pas assuré. »
Abdel Aouacheria
L’organisation lucrative des centres du scandale Dentexia
Une gestion pensée pour générer du profit
Le premier des centres Dentexia a été ouvert à Lyon, en 2012. Au total, 8 centres de cette franchise verront le jour. Pascal Steichen a mis en place tout un système afin de faire de l’argent à partir de ces centres de santé associations loi 1901, que ce soit au travers de :
- un montage entre l’association à but non-lucratif et des entreprises qu’il détenait également ;
- l’organisation et la gestion de ces centres de santé low-cost eux-mêmes.
« À savoir que Pascal Steichen n’est pas dentiste. Il a fait des études d’HEC. Il avait déjà, dès 2001, une bonne connaissance du monde dentaire puisqu’il a enseigné aux dentistes des techniques pour apprendre à augmenter leur chiffre d’affaires. »
Florence Etcheverry
À leur arrivée, les patients étaient pris en charge par des assistances commerciales, qui établissaient un devis (exagéré, comprenant des soins inutiles) après avoir réalisé une radio. La devise de Pascal Steichen était que « la meilleure dent, c’est l’implant ».
« On va essayer d’orienter les plans de traitement vers les solutions, entre guillemets, qui soient les plus lucratives pour les centres, qui permettent de dégager plus de marge. »
Abdel Aouacheria
Des soins réglés avant d’être prodigués.
De plus, les patients devaient payer les soins AVANT qu’ils ne soient réalisés. Leur faible coût était utilisé comme argument pour justifier cette avance. Et s’ils n’avaient pas les moyens, ils se voyaient proposer, par le biais de ces mêmes assistantes, des crédits bancaires.
« Il y avait tout un système de pilotage par tableau de bord. Nous, on a eu des témoignages […] avec un système de briefing sur une base quotidienne, où les dentistes pouvaient être humiliés en fin de journée s’ils n’avaient pas atteint les objectifs de rentabilité. On leur disait : « Mais pourquoi tu n’as pas posé la prothèse ? […] ». »
Abdel Aouacheria
Les nombreux patients victimes de Dentexia
En l’espace de quelques années, la mauvaise gestion financière des centres — qui n’était autre qu’une pyramide de Ponzi — par Pascal Steichen conduit les centres à faire faillite. Le scandale Dentexia était là.
Pour les raisons citées plus haut, la question de la prise en charge des victimes par les assurances fut compliquée. En plus de cela, les personnes maltraitées dans le scandale Dentexia ont eu beaucoup de mal à être prises en charge par des dentistes. L’Ordre des chirurgiens-dentistes n’était, en effet, pas très enclin à aider ces patients-là.
« Je pense qu’en fait, il y avait une propension à se servir de la patientèle pour taper sur les centres de santé et, indirectement, sur la loi qui avait été promulguée par le ministère de la Santé. […] Ce qu’il s’est passé […], c’est le fait qu’il y a eu des recommandations faites par le conseil de l’Ordre, de ne pas soigner les victimes de Dentexia. »
Abdel Aouacheria
« Ceci étant, je tiens quand même à le dire et c’est très important : il y a quand même eu un énorme effort de fait, par de nombreux dentistes, pour reprendre ces victimes. »
Abdel Aouacheria
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J’espère que cet article vous aura permis de comprendre un peu mieux les dessous du scandale Dentexia. Pour découvrir ce sujet plus en détail, au travers des nombreux points évoqués avec Abdel Aouacheria, je vous conseille d’écouter ce premier épisode en entier. Enfin, pour ne pas manquer la suite de l’histoire, je vous invite à vous abonner et à vous inscrire à la newsletter.