Dans ce troisième et dernier épisode, ils nous racontent le retour à la vie, lorsque le goût revient. Comment ont-ils appris à vivre autrement ? Que conseilleraient-ils aux autres praticiens dentaires, qu’ils soient en bonne santé ou en épuisement professionnel ? Nous verrons avec eux, mais aussi avec l’aide de Marie-Hélène Haye et de Marie Pezé, ce que nous pouvons faire, individuellement et collectivement, pour éviter ces drames.
Un doute ? Faite le test de propagation du burn-out
La situation actuelle de nos chirurgiens-dentistes
Même s’ils sont guéris ou en cours de guérison, les dentistes en burn-out gardent des séquelles. Séverine, Pauline et Phoenix les sentent et reconnaissent en avoir encore. Que ce soit dans leur vie professionnelle ou dans la sphère personnelle, la vigilance envers eux-mêmes et les changements de fonctionnement sont nécessaires.
« Ça pourrait dégringoler si on ne se met pas de barrières. »
Pauline
« Heureusement que les mi-temps thérapeutiques existent. »
Phoenix
« Comment je me sens aujourd’hui ? Fatiguée, encore très fatiguée. J’ai envie de repos. Mais je ne me donne pas encore ce droit. »
Séverine
Après un burn-out, il peut être impossible de reprendre son activité comme avant, voire de reprendre le même métier. Il est d’ailleurs capital d’attendre que l’envie de reprendre la route du cabinet se fasse sentir d’elle-même. Une fois l’envie revenue, il est également important de prendre, en amont, le temps de penser à ce dont nous avons besoin et envie pour cette reprise. Même une fois le retour au travail initié, le temps d’adaptation et de réapprentissage peut s’avérer très long.
« Je ne vais plus repartir sur le même type d’exercice. Pour l’instant, je rêve de me poser en collaboration ou ne serait-ce que dans un poste de salarié, pendant quelque temps. […] Je n’ai aucune envie, pour l’instant, de repartir sur une structure à moi. »
Séverine
« Je vois grand maximum 12 patients par jour. Je fais des actes groupés en fait, ce qui est moins… Ce qui est un travail différent. C’est moins stressant et moins fatigant. »
Pauline
« J’ai pensé à faire une reconversion, oui. Quand j’étais vraiment bas, j’ai pensé à carrément claquer la porte du cabinet, tout arrêter et faire n’importe quoi d’autre. […] J’ai pensé repartir sur du dentaire, mais en étant assistante dentaire, pas dentiste. Je pensais à plein de scénarios. »
Pauline
Une nouvelle vie après l’enfer de l’épuisement professionnel
Leur nouvelle vie ne sera jamais comme la précédente. Les dentistes en burn-out voient des changements s’opérer dans leur vie après leur guérison. Séverine, Phoenix et Pauline s’accordent tous les 3 à dire qu’il est important de :
- Travailler autrement, en adaptant le rythme ou le mode de travail à ses besoins et à sa santé ;
- se créer un réseau pour pouvoir exprimer son ressenti, et peut-être même aider d’autres praticiens en souffrance ;
- s’interroger sur ce que l’on souhaite pour soi, dans sa vie, pour son travail, pour son temps libre, etc., bref : revenir à soi.
« Quand j’ai repris le travail, j’ai dû apprendre à dire non, à mettre des barrières, à me freiner aussi et à me dire que je ne pouvais pas tout faire. »
Pauline
« J’ai libéré ma parole et je me suis ouverte. Ça m’a permis d’avoir un contact avec toi, de pouvoir en parler avec d’autres consœurs ou confrères qui vivent la même chose. […] C’est la difficulté qui fait qu’un petit réseau se forme avec les mêmes valeurs, avec les mêmes attentes. Et ce n’est pas si mal ! »
Séverine
Il peut aussi être important de :
- Se renseigner et se faire accompagner autant que nécessaire ;
- prendre du recul sur ce qu’il s’est passé et pourquoi ça a eu lieu.
« Je pense que c’est ça que je n’ai pas su faire : même si c’est une passion, ne pas se laisser manger par [elle]. »
Séverine
« Planifier dans ses semaines, dans chaque semaine, des temps de néant, des temps où il n’y a rien. […] Ce n’est pas facile. Mais c’est le plus simple. C’est la première chose préventive, je crois : s’autoriser des temps pour ne rien faire, pour être juste ouvert à ce qui va se passer ce jour-là. »
Marie-Hélène Haye
« Avant, il y avait mon travail, ensuite mes loisirs. Maintenant, il y a mes loisirs, puis mon travail dans un second temps. Et ça, ça change tout. »
Pauline
Les possibilités d’action contre ce fléau des dentistes en burn-out
Après ces témoignages, il semble naturel et important de s’interroger sur ce que nous pouvons tous faire, à notre échelle, pour prévenir le fléau des dentistes en burn-out. À notre échelle, nous pouvons :
- Communiquer sur notre expérience (autour de l’épuisement professionnel… Mais aussi sur les signes avant-coureurs) ;
- prendre dès à présent l’habitude de se garder du temps pour soi et préserver sa santé ;
- être vigilant et bienveillant envers ses collègues et ses proches ;
- penser autrement la relation avec ses patients ;
- se faire tester et consulter dès que nous avons le moindre doute.
« Je pense que la première chose qu’on puisse faire, c’est déjà informer […], communiquer : qu’est-ce que c’est, montrer que ça existe, oser en parler et oser en parler quand soi-même, on le vit. »
Marie-Hélène Haye
« Si vous pensez être en burn-out ou pas loin, même si ce n’est qu’un doute : réaliser le test de propagation du burn-out qui est un test d’auto évaluation […]. Vous pouvez ensuite trouver conseil auprès de professionnels proches de chez vous en consultant l’annuaire du réseau Souffrance et travail […]. »
Florence
« Collectivement, qu’est-ce qu’on peut faire, nous, praticiens, chirurgiens-dentistes, contre cette épidémie de burn-out ? Je crois que sortir de l’isolement, c’est vraiment fondamental. Je pense que c’est aussi le moment de faire jouer la solidarité et de repenser au fait qu’on a une confrérie. […] Ne pas forcément attendre d’une instance supérieure que quelque chose se mette en place pour nous, mais peut-être se bouger et agir. D’ailleurs, agir, c’est souvent une très très bonne idée quand on va mal : sortir de la rumination, sortir de la résignation, sortir du combat… Mais agir. »
Marie-Hélène Haye
À un niveau plus global, nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’il serait bon que les études de chirurgien-dentiste n’incluent pas seulement de la technique. La profession gagnerait à ce que des notions de gestion d’entreprise et de psychopathologie du travail nous soient également enseignées.
« Un enseignement qui aborde l’hygiène de vie des praticiens dentaires. Il y a une espèce de : « on n’en parle pas, on ne va pas faire peur ». »
Phoenix
Enfin, en parallèle de la relation avec nos patients, obtenir de la reconnaissance de nos instances dirigeantes serait intéressante.
Pour terminer cet épisode, nous avons repris les différentes phases que traversent les dentistes en burn-out.
Nous voici au bout de cette série sur l’épuisement professionnel, au fil des témoignages de Phoenix, Pauline et Séverine. J’espère que cela vous aura permis de mieux connaître le processus du burn-out. Si ces articles et ces épisodes de podcast vous ont plu, n’hésitez pas à les partager autour de vous et à vous inscrire à ma newsletter pour ne pas manquer les prochains.
- Pauline Bussi @lesonlibre pour son montage ;
- Guillaume Denaud pour l’illustration ;
- Sarah Boom (composition) et Maxime Wathieu (production, arrangement et mixage) pour la musique ;
- Qatsi Marchandeau pour la rédaction de l’article ;
- Pauline, Séverine et Phoenix pour avoir eu le courage de témoigner ;
- Marie Pezé et le docteur Marie-Hélène Haye pour leur expertise. Marie Pezé est psychanalyste, docteur en psychologie et à la tête du réseau « Souffrance et travail ». Marie Hélène Haye, chirurgien-dentiste, est fondatrice de Gutta & co, et cofondatrice du mouvement « Culture santé ». Je l’ai interviewé dans l’épisode 36 d’Entretien avec un dentiste, « Marie-Hélène Haye, la voie du changement ».