Dentistes en burn-out 1/3 : les prémices

L’épuisement professionnel est une maladie aujourd’hui connue et malheureusement répandue dans de nombreux secteurs. Longtemps caractéristique du métier de soignant, il s’agissait plutôt, au départ, de s’être trop investi. Depuis les années 2000, les notions de conditions de travail, de reconnaissance et de quête de sens comptent également parmi les causes de cette maladie qui touche à la fois la santé physique et le psychique.

Si de nom­breux corps de méti­er sont con­cernés, le burn-out du den­tiste est par­ti­c­ulière­ment répan­du. Dans cet épisode, j’ai ten­té d’en savoir plus au tra­vers du témoignage de 3 chirurgiens-den­tistes ayant tra­ver­sé cette épreuve. Dans ce pre­mier volet, nous nous sommes con­cen­trés sur le pré-burn-out. En quoi est-ce un enjeu majeur ? Quelles sont les dif­férentes caus­es spé­ci­fiques aux métiers des soins den­taires ? Quels sont les pre­miers symp­tômes du burn-out ? Voilà autant de ques­tions aux­quelles j’ai ten­té d’apporter une réponse dans ce nou­v­el épisode de mon pod­cast, « Entre­tien avec un dentiste ».

Un doute ? Faite le test de prop­a­ga­tion du burn-out.

Le burn-out des dentistes, un enjeu majeur 

L’épuisement pro­fes­sion­nel est une thé­ma­tique d’actualité qui touche de nom­breuses pro­fes­sions, dont les pro­fes­sions médi­cales. Les chirurgiens-den­tistes ne font pas excep­tion à la règle : le burn-out chez les den­tistes est un vrai fléau. 

L’Ordre nation­al des chirurgiens-den­tistes a pub­lié en 2018 une étude sur le sujet. Le résul­tat est sans appel. 14 % d’entre eux sont allés jusqu’aux pen­sées sui­cidaires et plus d’un prati­cien sur 3 par­mi ceux ayant répon­du déclare être en état de burn-out. Comme indiqué dans l’édito de « La let­tre » pub­liant les résul­tats : « Au total, 2 378 prati­ciens se déclar­ent en sit­u­a­tion d’épuisement pro­fes­sion­nel sur les près de 6 800 qui ont répon­du à cette enquête. Rap­portés aux 40 000 prati­ciens en exer­ci­ce, ces 2 378 prati­ciens en sit­u­a­tion de burn-out représen­tent presque 6 % de la pop­u­la­tion de chirurgiens-den­tistes exerçant en France ! ».

Dans cet épisode, vous décou­vrirez le témoignage de 3 den­tistes libéraux ayant con­nu un épisode de burn-out. Afin d’éclairer nos pro­pos, 2 spé­cial­istes sont à mes côtés :

  • Marie Pezé est psy­ch­an­a­lyste, doc­teur en psy­cholo­gie et ini­ti­atrice en 1996 de la pre­mière con­sul­ta­tion « Souf­france au tra­vail » au cen­tre d’ac­cueil et de soins hos­pi­tal­ier de Nan­terre. EN 2009, elle a ouvert le site « Souf­france et tra­vail » en 2009. C’est égale­ment l’autrice du livre « Le burn-out pour les Nuls ».
  • Marie-Hélène Haye, chirurgi­en­ne-den­tiste, accom­pa­gne aujourd’hui ses con­frères et con­sœurs en ques­tion­nement sur leur car­rière. Elle pro­pose une aide indi­vidu­elle en préven­tion et récupéra­tion du burn-out. 

« Le burn-out, je l’analyse main­tenant comme ça : c’est un trop-plein d’in­vestisse­ment émo­tion­nel dans mon tra­vail et dans mon cab­i­net, qui a fait qu’à long terme, ça a entraîné un épuise­ment physique, men­tal et émo­tion­nel. Au bout d’un moment, le corps et le men­tal ont dit stop […]. »

Séver­ine

Les causes de l’épuisement professionnel 

Au tra­vers de nos témoignages et des expli­ca­tions de Marie Pezé et Marie-Hélène Haye, vous décou­vrirez com­bi­en le burn-out des den­tistes a de mul­ti­ples causes. 

Au fil des témoignages et expli­ca­tions, nous évo­quons ensemble : 

  • le manque de for­ma­tion à la ges­tion d’une entre­prise et d’une équipe ; 
  • le défaut de recon­nais­sance auquel nous sommes confrontés ; 
  • les dif­férents stress et risques aux­quels nous sommes exposés quotidiennement ; 
  • l’impact des for­ma­tions et de la com­para­i­son professionnelle ; 
  • le poids de la qual­ité-empêchée, due aux con­traintes et à la vision chiffrée des étab­lisse­ments de soins. 

Le défaut de recon­nais­sance est dû à la fois à l’image pop­u­laire du den­tiste et à l’impossibilité du patient à percevoir la réelle qual­ité de notre travail. 

« L’his­torique de notre méti­er, dans l’imag­i­naire pop­u­laire […], c’est celle du den­tiste de foire, de l’ar­racheur de dents. […] Ça fait très image d’Épinal, mais c’est mal­gré tout encore très ancré dans notre incon­scient collectif. »

Marie-Hélène Haye

« Au fond, est-ce que le patient est en mesure de juger de la qual­ité de notre tra­vail ? Très dif­fi­cile­ment. Sur quoi s’ap­puie-t-il pour nous don­ner cette recon­nais­sance ? Est-ce que j’ai eu mal ? Il s’agit essen­tielle­ment de ça. […] Est-ce que c’est con­fort­able ? Mais il n’a aucune idée, en réal­ité, de la qual­ité du tra­vail qu’on lui four­nit. […] Pour nous, la qual­ité de tra­vail est dépen­dante de la péren­nité de nos soins. […] La notion de guéri­son dans notre méti­er n’a pas vrai­ment de sens, dans la mesure où la carie et la mal­adie par­o­don­tale sont des mal­adies qui demeurent chroniques. »

Marie-Hélène Haye

La com­para­i­son pro­fes­sion­nelle se rajoute à cette prob­lé­ma­tique d’une façon insi­dieuse, notam­ment par le biais des for­ma­tions en cours de carrière. 

« Les for­ma­tions, ça me fai­sait plus de mal que de bien. […] Cer­tains expo­saient des cas extra­or­di­naires, que vous ne ver­rez jamais en cab­i­net, ou très rarement. On y va pour appren­dre, c’est sûr, mais en ressor­tant de là, per­son­nelle­ment, je me dis­ais : « Mais t’es nul quoi… ». Ça, je ne le vivais vrai­ment pas bien. »

Pauline

« J’ai l’im­pres­sion que le sys­tème de com­para­i­son dans la pro­fes­sion a joué un rôle dans mon épuise­ment. […] Je ne veux pas dire qu’il y avait une com­péti­tion, mais… Nous com­par­i­ons quand même le nom­bre d’im­plants, le niveau tech­nique…  Je pense que ça m’a entraîné dans un sys­tème de com­para­i­son qui était peut-être trop lourd pour moi. »

Séver­ine

Par ailleurs, nous sommes, pour la plu­part, des per­son­nes à la fois douées d’une grande empathie et per­fec­tion­niste. Cumulée à une sincère volon­té de bien faire, à des stress mul­ti­ples et à un manque de recon­nais­sance, la remise en ques­tion peut vite arriver. 

La remise en ques­tion de son tra­vail est sou­vent un des pre­miers symp­tômes dans le pré-burn-out du den­tiste. Elle a d’autant plus de place pour se dévelop­per que notre société tend vers une ges­tion chiffrée des soins, axée sur la rentabil­ité. Ces con­traintes, croisées aux con­traintes légales et admin­is­tra­tives, peu­vent nous amen­er la qual­ité-empêchée dans notre travail. 

« L’une des choses les plus impor­tantes, c’est le fait d’éviter les prob­lèmes relat­ifs à ce que nous appelons la qual­ité-empêchée. C’est-à-dire ? J’ai envie, moi, pro­fes­sion­nel de san­té con­scien­cieux, de pou­voir don­ner des soins de qual­ité à mon patient. Mais pour dif­férentes raisons, je ne suis pas en mesure de le faire : je suis dans de la qual­ité-empêchée. Cette notion de qual­ité empêchée est très impor­tante, parce que quand on y est con­fron­té, on com­mence à per­dre en estime de soi et on peut com­mencer à entr­er dans une spi­rale qui nous con­duit au sur­me­nage à l’épuisement. »

Marie-Hélène Haye

« Nous voyons le décalage entre [nos besoins et] la manière dont le tra­vail est désor­mais organ­isé, à coups de tableaux Excel, de chiffrages, d’objectifs, d’al­go­rithmes et d’ex­i­gences unique­ment liées à la pro­duc­tiv­ité chiffrée. À l’opposé de ça, surtout quand on est soignant, on veut d’abord rem­plir les règles du méti­er, c’est-à-dire aider les gens, les soulager et bien les soigner. »

Marie Pezé

Les symptômes du burn-out 

Le burn-out étant une mal­adie qui s’installe au fil du temps, il est sou­vent dif­fi­cile d’en décel­er les signes avant-coureurs. Ceux-ci exis­tent pour­tant. Par­mi eux, nous pou­vons citer : 

  • la dif­fi­culté à faire une réelle pause dans le tra­vail, ce dernier empié­tant sur les temps personnels ; 
  • une fatigue impor­tante, que le repos n’arrive plus à combler ; 
  • un état émo­tion­nel frag­ile, ponc­tué d’irritabilité, de besoin d’isolement ou d’autodépréciation permanente ; 
  • la mise en place incon­sciente d’une médecine défensive. 

Cette dernière peut advenir, par exem­ple, lorsque votre état émo­tion­nel ne vous per­met plus de recueil­lir les doléances des patients. 

« La peur de mal faire, c’est le pen­dant du désir de bien faire. Mais quand la peur de mal faire s’in­stalle vrai­ment beau­coup, cela aboutit à met­tre en place une médecine défen­sive. Qu’est-ce que c’est, une médecine défen­sive ? C’est com­mencer à trou­ver dif­férentes échap­pa­toires pour ne pas ris­quer de se met­tre en échec dans ses soins. […] Petit à petit, on se met à con­stru­ire son exer­ci­ce non plus pour répon­dre aux besoins du patient, mais pour répon­dre à son besoin de se met­tre à dis­tance d’un risque d’échec. Quand on com­mence à pren­dre des atti­tudes de médecine défen­sive, ça peut être un sig­nal d’alerte. »

Marie-Hélène

L’entourage pour­ra vous alert­er… Ou non. Même aux yeux des proches, le burn-out d’un den­tiste peut pass­er inaperçu et être perçu comme un engage­ment fort dans votre tra­vail, sans notion de nocivité. 

« Effec­tive­ment, à la mai­son, j’étais beau­coup plus agres­sif. Quand quelqu’un de gen­til devient ironique et cynique, il y a un problème. »

Phoenix

En par­al­lèle de cette fragilité émo­tion­nelle, il est impor­tant d’être atten­tif à son état de fatigue pour repér­er un pré-burn-out chez un den­tiste

« Quand on com­mence à avoir un repos qui repose plus, […] on n’est plus dans de la fatigue ordi­naire. […] On sait main­tenant que dans les burn-outs, les cel­lules et les neu­rones ne se polarisent plus cor­recte­ment. Il ne s’agit pas du tout de fatigue ordi­naire, mais d’une usure fonc­tion­nelle et pré­maturée de l’organisme. »

Marie Pezé

Puis vien­dra le point de non-retour. Phoenix a très bien su décrire ce moment, à l’aide d’une métaphore. 

« De façon imagée, je dirais que c’est comme pour votre télé­phone portable. Vous êtes en train de par­ler, vous n’y faites pas gaffe, mais votre ligne verte dimin­ue. Vous êtes dans le rouge, mais vous con­tin­uez à par­ler, vous ne vous en apercevez pas, vous par­lez, vous agis­sez. À un moment don­né : plus de bat­terie et tac, en un flash, votre télé­phone s’ar­rête. Il en est de même pour l’épuise­ment pro­fes­sion­nel. La final­ité, c’est que cet épuise­ment arrive à un arrêt com­plet. Durant une péri­ode, je n’ai plus su marcher et j’avais per­du l’usage de plusieurs doigts. »

Phoenix

Dans le prochain épisode, Phoenix, Pauline et Séver­ine nous racon­teront ce qui s’est passé après cette phase de résis­tance et de déni, quand le corps vous lâche et vous entraîne au fond de l’abîme. Si cette série sur le burn-out du den­tiste vous plaît,n’hésitez pas à la partager de vous et à vous inscrire à ma newslet­ter pour ne pas man­quer les prochains épisodes.  

Je remer­cie : 

  • Pauline Bus­si @lesonlibre pour son montage ; 
  • Guil­laume Denaud pour l’illustration ; 
  • Sarah Boom (com­po­si­tion) et Maxime Wathieu (pro­duc­tion, arrange­ment et mix­age) pour la musique ; 
  • Qat­si Marchan­deau pour la rédac­tion de l’article ; 
  • Pauline, Séver­ine et Phoenix pour avoir eu le courage de témoigner ; 
  • Marie Pezé et le doc­teur Marie-Hélène Haye pour leur expertise. 

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