Antoine Paradis-Surprenant, dentiste humoriste au Québec
Un dentiste
J’ai découvert Antoine Paradis-Surprenant grâce à un groupe Facebook de dentistes français. Je crois que c’est rassurant, pour nous, dentistes français, de constater que les dentistes québécois ont aussi des patients avec des préjugés et des peurs, alors que leur système de santé nous semble :
- plus juste ;
- plus rémunérateur pour les soins ;
- plus tourné vers la prévention.
À ce sujet, le Dr Antoine dira, lors de notre échange, que la plupart de ses patients sont gentils et polis… mais que, lorsque ce n’est pas le cas, il s’en sert pour ses sketchs.
En effet, Antoine Paradis-Surprenant est un dentiste-humoriste québécois.
« Antoine exerce en tant que collaborateur, en tout cas, l’équivalent chez nous, dans un cabinet de groupe. Dentiste le jour, humoriste le soir, il s’est fait connaître récemment dans le Gong Show, un spectacle qui se déroule plusieurs fois par semaine dans un cabaret, en plein cœur de Montréal. »
Florence Etcheverry
Ensemble, nous avons notamment discuté de cette vision, sans doute universelle, du dentiste qui se fait de l’argent sur la douleur des gens. La prise en charge (ou non) des soins peut avoir un impact sur cela, mais c’est aussi le cas :
- du rapport des gens à l’argent (surtout en France…) ;
- de la réalité du ressenti des patients…
Un humoriste
Le tremplin d’Antoine en tant qu’humoriste, c’est le Gong Show, du cabaret « Le bordel », de Montréal.
« C’est un spectacle-concept où le but est de survivre 3 minutes sur la scène. Plusieurs humoristes amateurs sont invités à venir présenter un numéro. On essaie de se rendre jusqu’à 3 minutes, mais l’enjeu, c’est qu’il y a des juges-animateurs qui écoutent le numéro et, à tout moment, si ce n’est pas à leur satisfaction, ils peuvent sonner le gong et mettre fin au numéro. »
Antoine Paradis-Surprenant
Évidemment, l’un des premiers sujets sur lequel nous avons échangé, c’est son nom ! Mais oui, il s’agit bien de son véritable nom de famille… et c’est aussi son nom de scène !
Je lui ai aussi demandé s’il se souvenait du moment où il a compris qu’il voulait faire quelque chose de sa capacité à faire rire.
« La première fois que j’ai fait rire des gens, c’était dans un contexte d’impro, quand j’avais 14 ans. Avant ça, j’étais un enfant qui était quand même timide. J’avais quand même tout un imaginaire, je lisais beaucoup de livres, j’aimais écrire, j’aimais créer… Mais j’avais beaucoup de comique en moi, que je n’arrivais pas nécessairement à communiquer à beaucoup de gens à la fois. La première fois que j’ai fait de l’improvisation, c’est là qu’il y a eu un éveil. »
Antoine Paradis-Surprenant
L’équilibre entre sa vie de dentiste et l’humour
Dentiste et humour, au quotidien
Une vie de dentiste implique, en général, un quotidien bien chargé. Mais une vie d’artiste aussi ! J’ai interrogé Antoine sur sa gestion de ses 2 casquettes.
Antoine ne compte pas le nombre d’heures qu’il réalise dans une semaine… Mais il sait qu’il en fait beaucoup ! Essentiellement grâce à ses congés, il travaille en général 4 jours par semaine au cabinet dentaire. En parallèle, il est sur scène 1 à 2 fois par semaine. Antoine sait que ce rythme ne pourra pas durer. Il sent qu’il a accumulé de la fatigue et il sait que, s’il veut se consacrer un peu plus à l’humour, il devra réduire le rythme ailleurs. Approfondir ce sujet est l’un de ces projets.
Toutefois, abandonner l’une ou l’autre de ses casquettes n’est pas prévu.
« L’humour, c’est un vieux rêve de jeunesse, donc c’est sûr que si on m’avait posé la question il y a quelques années, j’aurai dit humoriste. Mais la pratique dentaire, j’ai vraiment trouvé quelque chose que j’aime là-dedans. J’aime mon métier de dentiste, donc j’aurai de la difficulté à le laisser aller complètement. Mais en même temps, c’est tellement prenant, c’est tellement satisfaisant, c’est tellement grisant quand ça fonctionne… S’il y a une possibilité en humour, j’aurai probablement de la difficulté aussi. […] Je vais laisser les choses venir. […] Je vais laisser la vie décider pour moi ! »
Antoine Paradis-Surprenant
Tout cela a fait écho à l’équilibre que j’ai dû trouver entre ma casquette de chirurgienne-dentiste et ma casquette de podcasteuse. L’une et l’autre demande du temps et de l’énergie, mais m’apporte du positif. À l’heure actuelle, je travaille 3 jours par semaine au cabinet et consacre le reste du temps au podcast, mais aussi à ma famille et au sport.
Sur ce dernier point également, Antoine et moi nous rejoignons. Antoine fait beaucoup de vélo… et le cyclisme est d’ailleurs sa seconde source d’inspiration pour ses sketchs.
L’humour dans ses relations avec ses patients dentaires
En tant que dentiste-humoriste, Antoine valide qu’il lui arrive de se servir de l’humour au cabinet. Il nous donne même quelques exemples de blagues à la fin de l’épisode, je vous laisse les découvrir.
Je lui ai demandé si, avec son travail d’humoriste, il avait aussi à cœur d’essayer de redorer l’image des dentistes, s’il abordait aussi l’humour comme un moyen de faire passer un message. Sans très grande surprise, la réponse est positive.
« Le rôle de l’humour, ça peut être de faire passer des messages, de faire rire et de faire réfléchir. »
Antoine Paradis-Surprenant
Sans forcément aller jusqu’à redorer l’image du dentiste, il essaie (entre autres) d’utiliser sa position de dentiste-humoriste pour faire comprendre aux patients que les dentistes aussi, ont leur vision des choses, leurs ressentis.
Ceci étant, il n’est pas dit qu’il en sera ainsi durant toute sa carrière d’humoriste. Pour l’instant, c’est ça et le cyclisme, car ce sont des sujets qu’il connaît, qu’il maîtrise, sur lesquels il est légitime. Mais plus tard, ce sera peut-être autre chose.
À ses yeux, l’un des points les plus importants, c’est de bien prendre le temps de se renseigner en amont. Il faut avoir une vision globale du sujet traité, avoir une idée assez claire de l’opinion et du vécu de toutes les parties.
Une vie d’humoriste
Écrire l’humour
Enfin, au fil de notre échange, je me suis intéressée à l’humour en lui-même et au rapport qu’Antoine entretient avec lui. Cela a été évoqué plus haut : sa relation avec le rire est très liée à l’improvisation. Ces expériences dans cet art lui ont permis d’affiner rapidement son jeu de scène.
Par contre, il a appris à écrire l’humour. Antoine nous explique ainsi que l’élément principal, c’est de soigner la structure de sa blague. Pour composer les siennes, il part en général d’un sujet qui le fait réagir (par exemple : la quantité de réflexions que les automobilistes adressent aux cyclistes). Ensuite, il essaie de composer dessus avec les techniques qu’il a apprises.
« Il y a des procédés humoristiques qu’on peut utiliser. Il y a une façon d’écrire le stand-up, du moins il y a une façon classique d’écrire des blagues, qu’il est important de comprendre, d’apprendre et de maîtriser quand on débute là-dedans. Et après ça, je pense que les humoristes professionnels qui se démarquent et qui deviennent des vedettes, c’est qu’ils ont réussi à, justement, amener leurs propres couleurs […]. C’est un peu comme apprendre la musique. Il faut apprendre certains accords, et après, ce sont les chansons qu’on va composer qui vont être intéressantes. »
Antoine Paradis-Surprenant
Dans le sillage de cette question, nous avons abordé celle, plus épineuse, du dosage de la vulgarité.
« C’est un défi qu’il y a dans l’écriture, certainement. Je pense que ça vient avec l’expérience aussi. Il y en a qui en font une spécialité aussi, d’aller loin et de repousser les limites. Comme on finit par savoir que c’est leur créneau, on tolère plus. »
Antoine Paradis-Surprenant
Son but à lui n’est pas de choquer. C’est important pour lui que ce soit clair que tout est dit dans un cadre bienveillant.
Adapter l’humour à la sensibilité du public
Je ne pouvais pas inviter un dentiste-humoriste à mon micro et ne pas le questionner sur les questions classiques. Peut-on rire de tout ? Est-ce que notre société sait encore rire ?
Concernant la première question, la réponse est nuancée.
« Tout est dans la façon de le faire. Une blague qui est dure, qui touche un sujet dur, si elle est si bien ficelée, si la structure est tellement parfaite qu’on n’a pas le choix de reconnaître le génie derrière, ou la créativité derrière, l’habilité derrière, là ça en fait une blague qui est acceptable… selon moi. C’est sûr qu’on a tous nos degrés de tolérance. »
Antoine Paradis-Surprenant
Cela dépend aussi de ce dont on a l’habitude, de ce à quoi on est sensible, de la cible choisie… La légitimé aussi, peut rentrer en ligne de compte.
« Toi, tu vas utiliser ce que tu vis au quotidien, que ce soit dans ton métier de dentiste ou dans ton activité de cycliste. Tu es peut-être plus légitime, pour en rire, que quelqu’un qui ferait une blague sur les dentistes, qui ne connaît pas la profession et qui n’est pas dedans. »
Florence Etcheverry
J’avais aussi envie de savoir si, en tant qu’humoriste, il trouve qu’on rit assez, dans notre société actuelle.
« Pour ma part, j’ai l’impression que oui, mais moi, je suis très fan d’humour. J’en consomme beaucoup, donc je vois qu’il y a beaucoup de sujets qui sont traités avec humour et que ça se passe bien. Mais j’entends aussi quand même beaucoup de gens dirent : « oh on ne peut plus rien dire, on ne peut plus rire de tout, les gens sont plus sensibles qu’avant ». Et je pense que c’est vrai aussi. »
Antoine Paradis-Surprenant
À ses yeux, si on a affaire à un public sensible, il faut adapter le ton, le style… mais surtout pas arrêter de rire, car cela fait partie de notre humanité.
C’est sur cette belle réflexion que s’arrête cet article sur Dr Antoine Paradis-Surprenant, le dentiste-humoriste. Je vous invite à écouter l’épisode en entier : vous y découvrirez les sujets abordés ici (et d’autres !) avec plus de détails et de nuances. Pour aller plus loin et remettre de l’humain dans le monde dentaire, je vous propose également de découvrir la newsletter d’Entretien avec un dentiste.