Pour ce second épisode de notre série sur la place des femmes chirurgiens-dentistes en implantologie, nous parlons cette fois-ci de grossesse et de maternité. Comment la parentalité a‑t-elle trouvé sa place dans les études et la carrière et de nos professionnelles ? Quelle rétrospection font-elles aujourd’hui sur le temps qu’elles ont pu accorder à leurs enfants ? À quels arguments les jeunes mères se retrouvent souvent confrontées dans le monde de la dentisterie ? Quelles avancées ont été obtenues par le SFCD, le syndicat des femmes chirurgiens-dentistes ? Au vu de ce qu’elles ont pu vivre, s’estiment-elles féministes aujourd’hui ? Voilà autant de points abordés dans cet épisode d’Entretien avec un dentiste, réalisé en collaboration avec le réseau WIN, Woman Implantology Network.
Vous estimez-vous chirurgiens-dentistes féministes… ou pas ?
Après avoir expliqué le rôle que leur éducation a joué dans leur vie étudiante et professionnelle, nos intervenantes répondent à une question pas si simple : estimez-vous être féministes ? Les réponses ne sont pas forcément celles que nous pourrions attendre…
« Moi, je ne suis pas féministe, au contraire. […] Oui, je veux que les femmes gardent leurs droits, mais après, je ne veux pas qu’on arrive à une situation où on est, justement, des quotas. »
Julie Lamure
« C’est peut-être aujourd’hui, avec mon vécu, que je me rends compte, de par le chemin parcouru, qu’en fait, je suis peut-être une féministe… Mais peut-être pas avec la définition qu’on pourrait donner aujourd’hui. »
Hélène Le Hecho
« Le SFCD [syndicat des femmes chirurgiens-dentistes] a obtenu des choses qui n’étaient pas pour les femmes, mais qui étaient pour leurs enfants et pour leur mari. […] [L’allocation éducation] était allouée lorsqu’un homme chirurgien-dentiste décédait, pour ces orphelins. Mais quand une femme chirurgien-dentiste était décédée, son enfant n’avait le droit à rien, ce qui est quand même incroyable. Il a fallu se battre pour qu’il y ait une égalité là-dessus. Il a fallu se battre aussi pour qu’il y ait l’accompagnement veuvage. C’est-à-dire qu’un homme décédé, sa veuve avait quelque chose, une femme décédée, son conjoint n’avait rien. C’est quand même fou. »
Nathalie Delphin
Quelle place pour la maternité dans les études et la vie de dentiste ?
Dans cet épisode, j’ai voulu accorder une grande place à l’impact des grossesses et de la maternité dans une carrière. Parfois, cela se passe bien… mais pour d’autres, le choix de la parentalité implique une perte de correspondants et/ou de patients. S’arrêter de travailler et prendre un congé maternité n’est pas toujours possible… mais lorsqu’il est pris, ça peut aussi être le moment de se recentrer sur soi.
« Il y a eu une scène assez typique où j’étais assise en tailleur, par terre, avec ma fille au sein gauche et moi, en train de prendre des notes à droite, au téléphone, parce que le biostatisticien était en train de me donner les résultats du nombre de sujets à inclure. C’est vrai qu’il y a eu des moments quand même compliqués. »
Anne-Gaëlle Chaux
« J’ai accouché le samedi matin et le jeudi, j’étais au cabinet. Mon assistante n’en est pas revenue. »
Julie Lamure
« En fait, j’ai peut-être profité de ces moments-là […] pour redéfinir mes objectifs. À chaque fois, parce que j’ai eu quatre enfants, ça a été une formidable occasion de prendre du recul sur moi-même, du recul sur ce que j’avais envie de faire, etc. »
Hélène Le Hecho
« Au niveau du cabinet et du congé maternité, le premier, je me suis arrêtée deux mois. J’ai perdu des correspondants qui ont préféré aller voir les gens qui étaient plus disponibles. […] On me l’a dit clairement. […] J’étais en collaboration à l’époque. Ma collaboratrice elle-même, quand je suis revenue au bout d’un mois, m’a dit : « Ben en fait, je n’ai plus besoin de toi, je sais faire des implants, fais ton carton ».
Julie Lamure
La maternité rime souvent avec réflexions déplacées et arguments douteux quant à la capacité de travail de la femme, qu’elle soit chirurgien-dentiste ou non.
« Par exemple, pour mon concours d’assistante, le chef de service, la première question qu’il m’a posée pour le concours, c’est : « Est-ce que vous êtes enceinte ? ».
Julie Lamure
« Pour être tout à fait sincère, moi, pendant cette période-là, j’ai dû faire deux crédits, à deux reprises, pour les quatre enfants. Pour les deux premiers, je me suis arrêtée un mois et demi, mais pour les deux derniers, j’ai voulu m’arrêter quatre mois, ce qui ne me paraît pas non plus être extraordinaire. J’ai été obligée d’emprunter un petit peu pour couvrir cette période de façon sereine et pas être stressée avec l’argent. »
Hélène Le Hecho
Entre les études et le travail, il est même fréquent de se demander clairement comment on va réussir à avoir des enfants. Une fois que la grossesse est là, la question de l’annonce peut sérieusement se poser, elle aussi.
« Je me souviens qu’au probatoire, nous étions majoritairement des filles et c’était la grande question récurrente. Si nous avions le concours et donc quatre ans d’études supplémentaires, comment allions nous faire pour avoir des enfants ? »
Florence Etcheverry
« Je l’appelle : « Tu t’es cassé le bras ? »… « Non, j’ai menti, en fait, je suis enceinte, mais ça passe mieux auprès des patients. Je dis que je me suis cassé le bras. Comme ça, ils savent que je vais revenir bientôt. Si je dis que je suis enceinte, ils se disent que je vais pouponner et que je serai moins présente pour eux. ». Ça m’avait vraiment surprise qu’elle dise ça. Après, quand je suis revenue de ma première grossesse, j’ai perdu un de mes correspondants, etc. Je me suis dit que, peut-être, c’est elle qui avait raison, je n’aurai peut-être pas dû le dire. Et c’est vrai que ma deuxième grossesse, ben je ne l’ai pas dit. »
Julie Lamure
Quel équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle ?
C’est toujours difficile de trouver un équilibre entre une vie professionnelle dans laquelle on a envie de s’investir et une vie personnelle et familiale épanouie. Même quand on est en accord avec ces choix et que les enfants comprennent, la culpabilité peut facilement arriver.
« J’ai toujours été très honnête avec elle […] et elle comprenait bien les choses. Quelque part, je me disais aussi que c’est vrai que je suis moins à la maison, mais que c’est, entre guillemets, une forme d’éducation. Lui expliquer pourquoi je faisais tout ça, c’était aussi, entre guillemets, lui montrer un exemple parmi d’autres. »
Marie-Pierre Ventribout
« Oui, il y a eu des choix à faire, il y a eu, parfois, de la culpabilité. […] La maîtresse me voit arriver et me dit : « Vous êtes qui ? ». Ça a été l’électrochoc. […] J’ai effectivement modifié mon planning professionnel pour pouvoir aller une fois par semaine chercher ma fille à l’école. »
Anne-Gaëlle Chaux
« J’ai toujours essayé de garder cette communication avec elle, mais c’est vrai que j’ai beaucoup, beaucoup culpabilisé, énormément. »
Marie-Pierre Ventribout
« Le sentiment de culpabilité était loin d’être permanent… De temps en temps peut-être. Après, c’est vrai que le peu de temps que je passais avec mes filles, j’essayais vraiment d’être complètement disponible pour elles. C’est quelque chose que ma fille m’a dit aussi. »
Anne-Gaëlle Chaux
Heureusement, il est possible de travailler pour que chacune des sphères importantes de notre vie ait sa place.
« L’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle, c’est vrai qu’il est assez difficile à trouver. Du temps pour moi, clairement, j’en ai très peu. […] La vie de couple, c’est pareil. […] J’essaye de ne pas travailler à la maison, ou très peu, en tout cas. Mais oui, c’est un combat d’organisation, de ne pas travailler à la maison. »
Anne-Gaëlle Chaux
« Pour moi, une des clés, par exemple pour réorienter les femmes ou pour leur permettre de continuer leur ascension, c’est vraiment d’avoir des outils qui permettent de faire ce qu’on appelle du step by step. « Là, j’ai déconnecté pendant un moment, d’accord. Mais là, j’ai envie d’y revenir. Pourquoi ne pas me challenger un peu ? ». »
Hélène Le Hecho
J’espère que cet épisode vous aura apporté du soutien ou un éclairage inspirant sur le lien entre la maternité et une carrière épanouie en implantologie. Dans le prochain et dernier épisode de cette série, il sera question de penser le futur de l’implantologie au féminin. Si vous avez aimé notre travail, n’oubliez pas de vous inscrire à ma newsletter mensuelle. Elle vous permettra de connaître les actualités du podcast et de découvrir des bonus en lien avec la thématique du mois.
Je remercie :
- Pauline Bussi @lesonlibre pour son montage ;
- Guillaume Denaud pour l’illustration ;
- Maxime Wathieu pour la composition du générique et de l’habillage sonore ;
- Qatsi Marchandeau pour la rédaction de l’article ;
- Hélène Le Hecho, Julie Lamure, Anne-Gaëlle Chaux et Marie-Pierre Ventribout pour leur témoignage ;
- Muriel Salle et Nathalie Delphin pour leur expertise.